L’aviation commerciale soumise à une faible contrainte carbone

A Montréal, l’OACI a adopté un mécanisme de ‘compensation’ des émissions de CO2 du transport aérien international. Insuffisant pour diminuer l’impact climatique d’un secteur en forte croissance.

Dans les heures qui ont suivi la ratification de l’Accord de Paris, la communauté internationale pouvait se féliciter de la signature d’un second accord sur la lutte contre le changement climatique. A l’issue de deux semaines d’assemblée générale, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a annoncé, jeudi 6 octobre, l’adoption du mécanisme de marché dédié au transport aérien.
10.000 t CO2 par an
Baptisé Corsia, ce mécanisme s’adresse aux compagnies aériennes émettant plus de 10.000 tonnes de CO2 par an. Globalement, il impose à ces opérateurs de ‘compenser’ une partie de leurs émissions de gaz carbonique en achetant des crédits carbone générés par le mécanisme de développement propre (MDP) ou le mécanisme pour contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et promouvoir le développement durable (ITMO), appelé à lui succéder.
Des exceptions nombreuses
Comme souvent, les exceptions sont légions. A commencer par les pays. Corsia débutera pour une phase-pilote dès 2021, avec des volontaires. Même chose pour la première période d’engagement (2024-2026). Les choses sérieuses sont supposées commencer durant la seconde période d’engagement. Entre 2027 et 2035, tous les pays (ou presque) devront engager leurs grandes compagnies. Sauf, bien sûr, si ces pays sont considérés comme trop pauvres, trop enclavés ou trop isolés au milieu des océans. Ou si leurs compagnies représentent moins de 0,5% du trafic mondial de passagers.
Vols internationaux
Autre facteur de discrimination: les vols proprement dits. Seules les liaisons internationales devront compenser leurs émissions[1]. Sauf si l’aéroport de départ ou d’arrivée se situe dans un pays ne n’adhérant pas au mécanisme élaboré par l’OACI. Et pour l’heure, bien malin qui pourrait dire qui participera vraiment. Une soixantaine de pays (dont la France, l’Union européennes et les Etats-Unis) ont donné leur accord. Mais de grands pays aériens, comme l’Inde ou la Russie, réservent encore leur réponse. «Environ 80% des émissions seront couvertes par ce mécanisme entre 2021 et 2035», estime Violeta Bulc. Et la commissaire européenne au transport de rappeler qu’une clause de l’accord prévoit l'amélioration du système, «en ligne avec les objectifs de l'Accord de Paris».
20% des émissions carbonées
Victoire pour le secteur aérien, l’accord conclu à Montréal est très insuffisant pour les ONG. L’association Transport and Environment estime ainsi que seules 20% des émissions carbonées du secteur seront soumises à contrainte entre 2021 et 2035. De même, des grands transporteurs, tels Air France-KLM, reconnaissent que les solutions techniques actuellement explorées (agrocarburants, meilleure efficacité énergétique des moteurs, optimisation des routes aériennes) ne suffiront pas à compenser la forte croissance du trafic (+6% entre 2014 et 2015). En 2030, estime l’OACI, 6 milliards de passagers emprunteront l’avion: deux fois plus qu’en 2014.
CO2 only
Les observateurs remarquent aussi qu’aucun objectif de réduction d’émission n’a été fixé au secteur. Il faudra se contenter de son engagement de neutraliser l’impact climatique de sa croissance. Last but not least: l’accord de Montréal ne porte que sur les émissions carbonées des avions de ligne. Oubliés l’ozone, le méthane, les particules fines, les suies, la vapeur d’eau rejetés dans la haute atmosphère par les flottes de Boeing et d’Airbus et dont l’influence sur le climat n’est pas neutre. Selon l’OACI, l’aviation est à l’origine de 2% des émissions anthropiques de gaz carbonique[2]. Mais en cumulant ses autres rejets de gaz à effet de serre, le secteur aérien est responsable de près de 4% du forçage radiatif, indique le rapport spécial du Giec[3] sur l’aviation.